Géologie de l’escalade Réunionnaise

Généralités

Pourquoi ne grimpe-t-on pas à la Réunion comme à Mada ou en Métropole ? Parce que pour une grimpe variée, il faut qu’une activité tectonique importante ait surélevé des récifs (mmmh les barres calcaires de Mada), ou encore dénudé des montagnes de granite. Rien de tout ça à la Réunion qui se situe en plein milieu d’une plaque océanique, loin des bordures où l’activité tectonique est importante. En fait, c’est le passage des plaques océaniques au-dessus du point chaud de l’Océan Indien qui est à l’origine des îles volcaniques Mascareignes. Rodrigues est âgées de 15 millions d’années, et Maurice de 13 millions d’années. Ces deux îles ont donc eu largement le temps d’êtres colonisées par des récifs coralliens, puis de s’éroder (c’est pour cela qu’on retrouve des grottes et des carrières de calcaire à Rodrigues). En revanche, la Réunion a émergé il y a moins de 3 millions d’années, c’est une île volcanique jeune, donc avec très peu de barrières de corail et des reliefs accentués.

Ces trois îles sont issues d’un volcanisme très monotone, puisque c’est toujours une plaque océanique qui fond à cause du point chaud, et donc plus ou moins le même magma qui sort : du basalte, encore du basalte. Heureusement celui-ci présente de subtiles variations, ce qui nous permet tout de même de diversifier un peu notre grimpe. Quatre facteurs sont importants pour expliquer les différents aspects du caillou et des falaises sur lesquels on grimpe :

1) Le premier facteur important, c’est le mode de mise en place du magma : le plus souvent, celui-ci se dépose sous forme de coulées de laves. Si vous êtes déjà allé voir les éruptions qui coupent la route du Grand Brûlé, vous avez dû voir que le front des coulées avance en charriant des blocs de lave à peine refroidis, de la taille du poing : ce sont des «grattons» (souvent de couleur rouge à cause de l’oxydation de la lave à l’air libre). Au cœur de la coulée, la lave se refroidit plus lentement et donne de la roche massive. Chaque ancienne coulée est donc constituée d’un cœur massif et solide, avec une base et un sommet pourris de grattons mal cimentés. C’est l’empilement des coulées au cours du temps qui explique ces alternances de couches grises solides et de couches rouges pourries à grattons, que l’on observe dans les ravines. C’est aussi pour cela que beaucoup de falaises commencent par une base pourrie où l’on grimpe sur des œufs avant d’atteindre le bon caillou (qui n’a jamais délogé un gratton au départ de «betsileo», 7a+ de la ravine Colimaçons ?).

En dehors des coulées de lave, le magma se met aussi en place en forçant passage dans des fissures qu’on appelle des dykes (intrusion de roche ignée verticalement, quand l’intrusion est horizontale on appelle ça un sill). Une fois dénudées par l’érosion, les parois de ces dykes nous donnent alors des falaises d’ampleur malheureusement trop rares à la Réunion. Le Piton de Sucre et les Trois Salazes en sont des exemples.

2) Le deuxième facteur conditionnant la texture du basalte est sa richesse en fer, magnésium et silice. Lorsqu’un volcan est jeune et très actif, ses magmas sont très chauds (plus de 1200°C). Le basalte est alors riche en éléments qui ne fondent qu’à haute température comme le fer et le magnésium, donnant un aspect très noir à la roche. Les coulées de laves sont alors très fluides et donc peu épaisses. Au contraire, lors de la fin de vie du volcan, les magmas sont moins chauds (800 à 900°C) et ne peuvent incorporer que des matériaux riches en silice fondant à basse température. Ces magmas sont alors très visqueux et la roche refroidie est claire car riche en silice. Selon la couleur de la roche, on peut ainsi juger de la richesse en silice d’un basalte (attention, cela n’est valable que pour une surface de roche fraîchement cassée !): moins de 49% en poids de silice pour le site de la Montagne par exemple, jusqu’à plus de 70 % pour les canyon de Fleur Jaune à Cilaos et Trou Blanc à Salazie. Petite précision, les roches riches en fer, magnésium sont très résistantes, alors que les roches riches en silice s’altèrent et se patinent plus facilement…

3) Le troisième facteur important, surtout pour nos empruntes digitales, c’est la vitesse de refroidissement du magma. Plus un magma refroidit lentement, plus celui-ci cristallise. Au contraire, lorsqu’il se refroidit instantanément (au contact de l’eau par exemple), les cristaux n’ont pas le temps de pousser et le basalte est alors dénué de cristaux. Oui, et alors quelle différence ? Et bien ça change tout pour l’adhérence et pour vos doigts. Des cristaux petits (0,5 mm) et abondants donnent un caillou adhérent sans être agressif (comme du papier de verre). Au contraire, lorsque les cristaux font 5 mm ou plus, leurs angles sont très agressifs et le caillou broute rapidement les doigts.

Le refroidissement est aussi à l’origine des orgues basaltiques. Lorsqu’une flaque de boue sèche au soleil, le résidu est une croûte dont les craquelures forment des polygones. Les polygones sont dus à la rétractation de la boue en train de sécher. De la même manière, une coulée épaisse qui se refroidi lentement a tendance à se rétracter et à former des colonnes polygonales. Ce sont ces colonnes qui donnent les « orgues ». On trouve des orgues dans beaucoup de canyons réunionnais, et sur quelques falaises comme Patate à Durand et dans une moindre mesure Zamal. Attention sur ces sites, la lave s’est refroidie suffisamment lentement pour produire des orgues mais pas suffisamment pour donner des cristaux.

4) Enfin, le quatrième facteur capital pour la texture du caillou est la richesse du magma en gaz. Lorsque le basalte s’arrête pendant un certain temps en profondeur, il «dégaze» et perd toutes ses bulles, acquièrant un aspect massif après refroidissement, comme aux Aloès par exemple. Au contraire, lorsque le magma remonte rapidement à la surface depuis son réservoir, il n’a pas le temps de perdre ses gaz, et les bulles sont préservées après refroidissement, ce qui nous donne les bidoigts et «boîtes aux lettres» de certains blocs des Avirons par exemple.

Géologie de quelques sites d’escalade :

La Montagne, Trois Bassins : Deux sites à «océanite».

Les deux sites sont des coulées de laves déposées lors de la jeunesse du Piton des Neiges il y a plus de 340000 ans. Première conséquence : la lave, baptisée «océanite», était donc très chaude et très fluide, ce qui explique la faible hauteur de ces falaises (20 m maxi). Deuxième conséquence, la roche y est très noire avec de gros cristaux verts d’olivine (minéral TRES riche en fer et magnésium). Voilà pourquoi ces sites vous broutent tant les doigts ! D’autant plus qu’à Trois Bassins, la lave riche en gaz a laissé un caillou plein de bulles et donc très abrasif. L’océanite étant riche en fer + magnésium et pauvre en silice, la roche est peu altérée et très résistante. Les voies ont donc nécessité (relativement !) peu de purge aux ouvreurs et vous n’êtes pas prêts de les voir se patiner !

A gauche, l’océanite de la Montagne à l’œil nu. Remarquez les gros cristaux verts d’olivine et les petites bulles dues au dégazage de la lave lors de son refroidissement. A droite, un océanité vue au microscope polarisant. Les cristaux d’olivine apparaissent avec des couleurs vives (vert, jaune, orange, bleu). Les globules gris sont en fait les bulles. La pâte avec les paillettes correspond au basalte noir entre les cristaux et les bulles. Remarquez que ces paillettes sont en fait de minuscules cristaux.

L’Eperon et les Aloès : deux sites à «mugéarite»

Les coulées de laves qui ont formé ces deux falaises sont liées à la fin de l’activité du Piton des Neiges, il y a moins de 220000 ans. Du coup, le magma était beaucoup moins chaud, plus riche en silice et plus visqueux… d’où l’aspect brun à gris clair de la roche, et la belle hauteur de la falaise des Aloès (30 m). Cette roche porte le nom barbare de «mugéarite». Cette roche ne contient que des cristaux minuscules et peu de bulles, donc le caillou n’est pas agressif. En revanche, s’il faut arquer les réglettes et grattoner des écailles, c’est parce que cette roche riche en silice a mal résisté aux agressions du temps et s’est altérée. L’altération due à l’action du vent, de la chaleur et surtout de la pluie, a formé une croûte plus ou moins épaisse en surface (calvaire des ouvreurs) qui donne ces cassures en écaille.

Sites des colimaçons et des Avirons : «roche pintade»

Ces sites sont constitués de coulées de laves formées en fin de vie du Piton des Neiges. Le basalte contient un minéral riche en silice : le feldspath. Ce minéral a si bien cristallisé qu’il forme des petites croix visibles à l’œil nu (appelées «demi-deuil»). Il en résulte un aspect tacheté du caillou qui lui a valu son nom de «roche pintade». Ces roches sont pleines de bulles qui témoignent de la richesse en gaz de la lave. Bulles et cristaux rendent le rocher très abrasif… d’où le nom évocateur de certaines voies : «la dalle à trous» (6b+, ravine Colimaçons), «l’épluche légumes» ou «les oursins» (respectivement 6b et 7a bloc aux Avirons). Il faut remarquer que le passage de l’eau dans la ravine a pas mal adouci la texture initiale du rocher dans le fond de la ravine des Avirons, alors que celui-ci est beaucoup plus agressif en hauteur sur les barres rocheuses.

A gauche, La roche pintade des Avirons à l’œil nu. Remarquez les gros cristaux blancs de feldspath. A droite, la même roche vue au microscope polarisant. Les cristaux blancs de felsdpath forment souvent des petites croix, d’où le nom de « demi-deuil ». Ces cristaux sont entourés d’une pâte noire, le basalte.

La «syénite» du Piton de Sucre à Cilaos

Ce site est très particulier à la Réunion, car il ne s’agit pas d’une coulée de lave. C’est en fait une immense fissure remplie d’un magma associé aux derniers sursauts de vie du Piton des Neiges il y a moins de 100000 ans. Le magma très visqueux a moulé les bords de la fissure, et les immenses dalles sur lesquelles on grimpe sont en fait les faces de ce moule. Cette roche blanche est si riche en silice qu’elle n’est même plus un basalte, c’est ce qu’on appelle une «syénite». Attention, les dalles vous paraissent noires à cause du lichen, mais la roche est bien blanche là où elle est propre, comme dans le canyon de Fleur jaune lui-même.

Lorsque l’on regarde depuis le canyon de Fleur Jaune, on voit une barre rocheuse qui s’étend en arc de cercle vers Bras Rouge et Cilaos. Il s’agit de la même syénite qui a aussi moulé les bords d’un ancien cratère du Piton des Neiges. La grimpe y est très agréable car la syénite est en fait entièrement constituée de minuscules cristaux jointifs qui lui donnent sa texture adhérente mais pas abrasive.

En conclusion, il est clair que les meilleurs sites d’escalades sont produits lors de la fin de vie d’un volcan, car l’accumulation de magma visqueux offre des falaises de plus grande ampleur. Ceci explique pourquoi la plupart des sites d’escalade sont situés dans le Nord-ouest sur le massif du Piton des Neiges. Le Piton de la Fournaise est trop jeune (moins de 500000 ans) pour donner des magmas visqueux. Il nous faudra donc attendre quelques petits millions d’années pour que celui-ci vieillisse et nous donne enfin de belles falaises d’ampleur dans le sud !

Vincent Famin,

maître de conférence à l’université de La Réunion

2 réponses à Géologie de l’escalade Réunionnaise

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